- Leur nourriture, essentiellement
végétarienne, se compose de fruits mûrs, de plantes et parfois d’insectes. Ils
savent utiliser des brindilles et des feuilles en signes de piste pour
s’orienter dans la forêt. Pourquoi avoir si longtemps ignoré ce monde, même si
la difficulté d’accès de leur habitat et l’instabilité politique ont pu retarder
sa découverte ? Dans la tentative de reconstituer le scénario de l’évolution de
l’humanité, les bonobos posent des questions dérangeantes. Ils ne se conforment
pas au moule du singe tueur.
La paix plutôt que la
guerre
La société bonobo est régie principalement par des
principes de paix et d’égalité entre mâles et femelles. Les mères, plus
particulièrement, jouent un rôle important. Les femelles entretiennent des liens
très forts entre elles. Les mâles ne se battent pas jusqu’à la mort et ils ne
tuent pas les petits. Les relations intercommunautaires sont plutôt détendues.
Bien que des conflits parfois âpres puissent exister, ils savent les gérer. Une
des clefs de cette gestion non violente des conflits est le sexe. Les bonobos
s’adonnent à toutes sortes de contacts affectifs. La fréquence des rapports
sexuels est supérieure à celle de tous les primates. Pourtant, la femelle met un
enfant au monde environ tous les cinq ans, comme les chimpanzés. Chez eux, le
sexe est, entre autres, une alternative à l’agressivité.
Le
respect plutôt que la persécution
Les bonobos se construisent
des nids non seulement pour dormir, mais aussi pour délimiter un espace privé.
Là, ils peuvent dormir, manger, jouer, ou se réfugier, s’ils veulent la
tranquillité. C’est ainsi qu’à Lomako, des chercheurs ont pu observer un mâle
adulte poursuivi se réfugier dans un nid de fortune, et l’assaillant rebrousser
chemin. Le respect de l’espace individuel n’est-il pas un des fondements de la
liberté ?
L’empathie plutôt que la violence
Un
des plus extraordinaires secrets de réussite de la culture bonobo réside dans la
capacité à être en empathie avec l’autre. La sensibilité à l’autre peut être bel
et bien un critère d’intelligence, au même titre que l’emploi d’outils. Cette
grande capacité à se mettre à la place de l’autre a été observée dans maintes
situations. Au zoo de Milwaukee, Lody, un mâle dominant, prête assistance à
Kidogo, un autre mâle affaibli par des problèmes cardiaques. Il lui entoure les
épaules pour le protéger. Il lui donne la main. Au centre de recherche sur le
langage d’Atlanta, Kanzi vole au secours de sa sœur cadette en difficulté pour
répondre à certaines questions de la chercheuse Sue Savage. Au zoo de Twycross
(Angleterre), après avoir capturé un étourneau alors pétrifié de peur, Kuni
l’aide à s’envoler en lui dépliant délicatement les ailes. D’après Sue Savage,
les bonobos sont sensibles à ce que l’autre ressent et pense, et à ce qui le
conduit à penser ainsi. Ils savent écouter et regarder avec le cœur.
L’égalité plutôt que la domination
Les bonobos
sont victimes, comme les autres grands singes, de la délinquance humaine. La
surexploitation du bois et la recherche de diamants dégradent leur habitat
naturel. Depuis la guerre civile de 1991, les populations affamées ont violé le
tabou de tuer les bonobos. Ils sont maintenant chassés et vendus « pour la
viande ». Leur survie est en grand danger. Il devient impérieux de les sauver
pour eux-mêmes et pour continuer les recherches afin de comprendre les raisons
qui ont fait évoluer les bonobos vers une société pacifique et égalitaire plutôt
que violente et dominatrice. Le modèle bonobo dérange la théorie de l’évolution
du modèle chimpanzé centré sur la domination masculine, la guerre, la chasse,
l’emploi des outils. En démontrant que l’agressivité humaine et la volonté de
pouvoir n’ont pas un caractère biologiquement inévitable, il nous donne une
chance. Celle de nous libérer de ces préjugés bien ancrés qui, depuis des
siècles, détruisent la nature et les êtres vivants qu’elle abrite.
Une révélation dérangeante
On pense aujourd’hui
que l’australopithèque n’était pas un grand prédateur mais plutôt une proie des
grands carnivores. D’après Franz de Waal « il se pourrait donc que les débuts de
notre lignée aient été marqués non par la férocité, mais par la peur ». Il
devient difficile de nous identifier à ce prédateur pour légitimer notre volonté
féroce de domination sur le Vivant. Est-ce cette terreur ancestrale, à l’origine
de notre histoire, que nous nous efforçons de refouler en la faisant subir
depuis des siècles aux animaux ? Notre frère d’évolution nous rappelle qu’il a
construit sa planète avec un comportement sensible aux autres, affectueux,
pacifique et conciliant. Autrement dit, une planète centrée sur la valeur des
relations sociales. Nous tentons de l’ignorer. Et pourtant... elle tourne !
Une nouvelle culture pour survivre
Si, comme les
bonobos, nous regardons l’autre avec les yeux du cœur, aussi différent soit-il,
nous pouvons nous enrichir de son monde, sans le détruire. En s'arrogeant des
droits fondamentaux et en les niant aux non-humains, l'homme s'est aussi donné
le droit à l'irresponsabilité meurtrière. La planète bonobo pourrait bien
engager la planète humanité à "tourner plus rond" en passant d'une culture de
l'agressivité à une culture de la paix dans sa relation à l'autre, qu'il ait ou
non visage humain. C'est une nouvelle façon de marcher sur notre planète que
nous devons inventer ou réinventer. Une marche qui accompagne la terre à
harmoniser des milliers de mondes différents, plutôt qu'à les séparer par des
murs arbitraires et destructeurs. Plusieurs millions d'années après les bonobos,
le principe de non-violence est toujours, et plus que jamais, une question de
survie. |